1988
Des idées que l’esprit ajoute à celles qui sont précisément signifiées par les mots
Scuola Grande San Giovanni Evangelista, Venise
L’ensemble des quatre œuvres montré en 1988 à la Biennale de Venise et intitulé Des idées que l’esprit ajoute à celles qui sont précisément signifiées par les mots, représente ma première tentative d’objectiver le lien entre toutes les sculptures. Et l’idée de donner pour titre à chacune d’entre elles une partie d’une phrase était ma première tentative d’objectiver ce lien. De même l’une d’elle, À celles qui sont précisément signifiées, a été réalisée afin d’éclairer la compréhension des trois autres.
Deux sculptures préexistaient lorsque je fus invitée à participer à la biennale de Venise. Des idées est la copie presque conforme d’une hotte de cuisine vue quelque temps auparavant, et Que l’esprit ajoute duplique le contour exact d’une barrière qui mettait à distance un fragment de sol en mosaïques aperçut dans un livre. Je sentais qu’il existait un lien mystérieux entre ces deux pièces, sans pouvoir encore réellement le déchiffrer à cette étape de mon travail qui débutait. Je les avais construites pour les transporter littéralement et les expérimenter chez moi et ensemble.
Je ressens la sculpture comme l’expérience réelle d’un espace spécial, en retrait du monde et inaccessible ; les enclos évoquent des endroits concrets repérés quelque part dehors, qui reconstruits, sont placés ailleurs et dont il ne semble rester que la bordure, la barrière.
J’ai ajouté deux autres sculptures après ma visite sur le site de la Biennale à la Scuola San Giovanni Evangelista. Un petit débarcadère sur le canal dont j’ai exploité le contour pour installer sur la bordure une phrase de Diderot qui commente la géométrie élémentaire et transcendante. Et à l’intérieur une sculpture noire, sorte de table de désorientation, qui inclut le cercle et la ligne droite dans sa configuration. Alliance de deux figures géométriques dans une sculpture qui recherchait la précision et la poésie d’un objet métaphysique.
DES IDEES 1988
Aluminium, polycarbonate
H160/L161/P243cm
Collection Fonds national d’art contemporain, ministère de la culture et de la communication.
Des Idées prend la forme et les dimensions exactes d’une hotte de cuisine vue dans la cuisine d’un château. En dessous, le fourneau occupait la surface au sol, j’ai eu le désir impérieux de me glisser dessous. J’en ai pris les mesures, pour la reproduire à mon retour à l’atelier. Fixée au mur juste au-dessus du niveau de la tête du spectateur (la sculpture est accrochée en porte à faux, à un mètre quatre-vingt sur le mur). Cette pièce, délimite l’espace protecteur, qui se trouve en dessous, la lumière est filtrée agréablement par les vitres en polycarbonate. Nul doute que, sous cette hotte, le public ne soit à même de se faire des idées, notamment sur l’espace alentour qui s’offre à son regard. Mais je peux également, et sans doute plus justement, car sa position sur le mur m’y invite fortement, prendre place sous elle et observer ce que les circonstances auront voulu mettre là.
Cette sculpture fait partie d’un groupe de quatre autres oeuvres (dont une barrière en fer forgé intitulée Que l’esprit ajoute, autre reconstruction d’un modèle aperçu ailleurs) elle est la première d’une série d’enclos dont relève Bande à part. Je comprenais plus ou moins confusément la relation qui existait entre les deux pièces : deux espaces bien visibles mais non accessibles, l’un au-dessus de la tête, l’autre au sol.
QUE L’ESPRIT AJOUTE 1988
Acier
H100/L450/P500cm
Collection du FRAC Limousin
Que l’esprit ajoute, est une barrière en fer forgé clôturée par un mur ; c’est une définition de l’œuvre comme enclos et de la sculpture comme frontière. Elle est la première d’une série qui se développe et se répète aussi. Bande à part (1998) a la même dimension et la même forme, seul le matériau change, un tube aluminium très épais se substitue au fer forgé.
À CELLES QUI SONT PRECISEMENT SIGNIFIEES 1988
Série « Des idées que l’esprit ajoute à celles qui sont précisément signifiées par les mots »
Aluminium, Iroko
H170/L2900/P2700mm
La géométrie, ou a pour objet primitif les propriétés du cercle et de la ligne droite ou embrasse dans ses spéculations toutes sortes de courbes ce qui la distribue en élémentaire et en transcendante.
Le texte de Diderot extrait de l’Encyclopédie marque une opposition entre une géométrie élémentaire qui a « pour objet primitif les propriétés du cercle et de la ligne droite » et une géométrie « transcendante » qui embrasse « dans ses spéculations toutes sortes de courbes »
La géométrie est stimulante parce que l’outil mathématique nous permet de trouver des formes, avec des points, des lignes, des surfaces, sans rapport avec l’espace extérieur. La forme est liée selon moi à « l’élémentaire » tandis que la « transcendance » la rapproche de la peinture… sa frontalité la met davantage du côté de l’idée.
Venise est tout entière organisée autour de l’humidité qui rend confuses les limites entre la terre, le ciel et l’eau. Le flot des canaux renvoie à ces « courbes » dont nous parle Diderot. Le dessin géométrique de l’embarcadère aménagé à l’extérieur de la Scuola San Giovanni Evangelista est induit par la configuration du canal. Il est du côté de l’élémentaire ; la courbe du canal avec son onde mouvante est en quelque sorte du côté de la transcendance. La couronne de mots parcourant le bord de la terrasse se détache sur l’eau et produit une sorte de vertige.
PAR LES MOTS 1988
Acier et bois vernis noir mat
H120/L188/P280cm
Collection du FRAC Bretagne
Véritable table de désorientation par les mots se présente comme un grand volume de bois noir à la forme complexe, combinant un cercle avec un quadrilatère prolongé par des parois reprenant le principe du rideau à lamelles coulissant. Je la voulais aussi opaque que la sculpture égyptienne en granite qui rentre sa masse dans un dessin qui lui colle à la peau.