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BCHN

1997
Musée d’Art moderne de la ville de Paris -ARC
Octobre - Novembre


Mon exposition à l’ARC est le prolongement d’un travail intitulé ZIP installé en Autriche. Son renouvellement n’est pas dû au changement de lieu. Cet ensemble inclut un dispositif vidéo et sonore.
À Linz, deux corridors élevés sur un plancher en bois, longeaient une succession de baies vitrées ouverte sur la ville. Leur conception dans la pièce s’appuyait sur les qualités de l’espace (bruits de la ville et vétusté de la salle) tandis qu’au musée d’Art Moderne de la ville de Paris, l’espace, bordé de murs épais et baignés de lumière zénithale, est isolé de tout contexte urbain.
À Paris, l’interpénétration des espaces du musée avec ceux, autonomes, de la sculpture, rétablit les notions d’extérieur et d’intérieur.
La sculpture reproduit fidèlement le contour d’une boucle au marqueur rouge, tracée sur les plans que l’on m’avait communiqués. Les quatre galeries B.C.H.N, ordonnées et associées par modules sensiblement égaux, s’ajustent aux dimensions des salles. Ils sont constitués d’une charpente métallique à section carrée de cinquante millimètres d’épaisseur sur laquelle est tendu, sur une face latérale et sur le dessus, un film plastique translucide de couleur laiteuse ; tandis que l’autre côté n’en est pas recouvert, de sorte que l’armature est apparente. Un plancher en bois tapissé d’une moquette rouge vif le parcours et relève le niveau du sol.
Les deux œuvres intitulées respectivement ‘Vitrines’, Paris-Berlin 1996/1997 et Corridor vert s’ajoutent à l’installation de la structure en plastique, indépendamment de son étendue. J’ai abordé les projets du diaporama et de la bande-son au moment de la conception du catalogue avec les graphistes M/M. L’ensemble composé par toutes ses pièces est intitulé BCHN.
Impossible d’appréhender BCHN d’un seul coup d’œil. Tous ses éléments s’organisent autour du plan au sol de couloirs qui se brisent en angle droit. Leurs trajets déterminent des espaces nouveaux, ils se conforment aux lieux sans intention de le cacher ou de l’oublier, au contraire, les travées latérales non recouvertes de plastique côtoient la présence concrète des murs qui s’élèvent à trente centimètres de distance, ils guident nos pas dans le tunnel. Chaque embranchement compose un tableau géométrique abstrait noir, blanc et rouge, parfaitement cadré. Spécialement au début de l’exposition.
Une vitre obstrue la moitié du passage à la frontière entre les salles que j’occupe et les autres parties du musée. L’incrustation du titre BCHN, appliqué sur la surface transparente, par un effet de perspective dû à la profondeur de champs, se lit en surimpression avec la sculpture éloignée de dix mètres. À gauche de cette ligne, l’ouverture béante du couloir, élargie à l’autre moitié de l’espace de l’entrée, dissimule complètement la salle. La profondeur et la lumière voilée dans le passage, contraste avec la frontalité de l’espace contigu, immergé dans un éclairage éblouissant.
La moquette rouge engage le visiteur à pénétrer dans le passage. De la salle, il ne voit que le mur sur sa gauche, enfermé dans la profondeur du tunnel, il ajuste lentement son pas à sa pensée.
Haut de deux mètres trente, large de deux mètres cinquante à l’entrée, il se réduit à un mètre cinquante au bout de ses vingt-quatre mètres de longueur. Les bifurcations et les croisements, à la dimension d’une travée (deux mètres cinquante), ne sont pas cloisonnés, de sorte que l’entrée ou la sortie soit aisée.
Le couloir tourne à gauche dans une autre pièce aussi lumineuse qu’inattendue, car il faut s’accoutumer à voir de nouveau. En effet, à cet endroit le dispositif du corridor est inversé : les cloisons en plastique translucide longent les murs en angle droit, tandis que l’autre (couleur rouge vif de la moquette et la tubulure en acier) est apparent de l’extérieur.
Le ruban de la longue galerie se déroule travée par travée, sans rigidité ; il faut quarante secondes pour parcourir les vingt-cinq mètres à découvert avant de disparaître à nouveau enveloppé dans le tunnel, de nouveau face au mur.

Quarante secondes de silence, c’est l’unité de mesure entre deux sons diffusés par les haut-parleurs fixés aux poutres métalliques de la verrière. Quinze échantillons, sélectionnés dans des disques de musique du type techno, chacun répété vingt-quatre fois, font écho au rythme de la progression dans les travées régulières de la galerie. L’accoutumance et la cadence entre la répétition de la marche et du son stimulent la rêverie, le souvenir ou les spéculations de tous ordres. L’ultime mesure terminée, l’espace reprend sa place avec le silence qui s’installe, il faut réadapter son corps à son esprit, attendre la prochaine énumération de son ou continuer son chemin. Ce dernier mesure presque vingt-quatre mètres de longueur, il traverse la distance des deux salles d’exposition. À mi-distance, il croise le corridor qui parcourt la première salle en passant au-dessus de lui, perpendiculairement à son axe. La boucle est bouclée.
La première vidéo ‘Vitrines’, Paris-Berlin 1996/1997 est placée au bout de l’allée, en dehors du contour de la sculpture, dans un emplacement en réserve peint en noir. Le film pris de nuit, montre une succession de quinze devantures éclairées bien que désertes : des magasins, des halls d’hôtel, des bureaux en cours de rénovation. Chaque séquence dure trente secondes. La caméra décrit de légers mouvements contre la paroi en verre. Le film est enregistré au ralenti pour obtenir une image plus dense, les milliers de pixels en mouvement donnent une épaisseur trouble à l’espace.
La seconde vidéo filmée de jour, est accrochée en vis-à-vis, quelques mètres plus loin, à l’encoignure d’un passage couvert, en direction du ‘Corridor vert’ qui achève l’itinéraire de l’exposition. L’objectif est plaqué contre la vitre close de trente boutiques abandonnées ou mises en location. Le film est tourné en images fixes, pendant la journée, en temps réel pendant une durée de trois secondes.

En 1996, l’armée russe quittait le territoire de Berlin, laissant tout en friche. Tout ce qui pouvait être emmené était enlevé, des centaines de locaux en cessation d’activité étaient fermés. Les Américains, partis en avant, abandonnaient un quartier d’habitation entier. Un nouveau biotope repoussait au détour de rues très actives et dans les no man’s land autour du mur détruit. Les terrains vagues inexploités par la ville, étaient les endroits où je me vidais la tête autant que les yeux. J’essayais de comprendre et d’imaginer leur origine, ils m’intéressaient aussi beaucoup comme espace sans nom, en attente. Les films ont été l’occasion de longues promenades en ville, commencées de jour, puis la nuit. Les éclairages localisaient des parcelles de terrain, insondables et pénétrantes, ou illicites et ignorées durant la journée. J’ai accumulé de nombreuses séquences, sans qualité esthétique et en désordre.
De retour à Paris, l’idée de faire un film m’a semblé nécessaire. Le plaisir que j’éprouvais à rechercher et à filmer était au moins aussi profond que les songes nourrissant mon activité à l’atelier. Il me semble que la visite de ces lieux inhabités m’a rappelé l’espace vide qui est toujours au centre de mes constructions, sa présence est essentielle, je ne peux m’en passer, il représente sans doute un moment de repos dans la lecture de l’œuvre. Plus que tout autre explication, le décryptage de ces films s’est révélé être une sorte de métaphore de mon travail.
La sculpture est un obstacle que l’on ne peut franchir, elle dessine un territoire formel circonscrit et alimenté par mes observations dans la rue. Ce point de vue est transposé dans les vidéos : la caméra posée contre les vitrines des devantures, découvre le volume de l’espace que n’occupe plus personne.
De jour, un miroir fixé quelque part dans la pièce révèle la proximité de la rue, un passant ou une auto, très vite passé, et l’espace retrouve sa tranquillité.
La nuit, la réflexion de la circulation automobile, impressionnée sur la surface de la vitrine comme un écran, s’oppose à l’immobilité de halls déserts.
L’itinéraire dans l’installation BCHN se termine brusquement devant la sculpture intitulée Corridor vert.
Deux écrans condamnent l’entrée plus approfondie à l’intérieur de la troisième salle d’exposition. Les cadres en acier d’une largeur de six mètres, sont peints du même vert que les feuillards en polyester qui les traversent horizontalement, sur toute leur hauteur (un mètre quatre-vingt-quinze). Le montage et la mise en place des écrans parallèles et éloignés de quelques dizaines de centimètres l’un de l’autre, délimitent un espace sans issue.
Les vitrines clôturant les magasins ou la structure à claire-voie de Corridor vert ne dissimulent pas leur contenu, mais interdisent physiquement l’accès.
Le projet BCHN s’expose au travers des galeries comme espace (en tant que capacité abstraite), perçu de l’intérieur, tantôt intime ; tantôt public s’il est vu de l’extérieur comme un objet avec ses trois dimensions. Il peut aussi prendre la forme d’une barrière, ou d’une cage comme la sculpture Trait pour trait à Kerguéhennec.

Une projection de dessins occupe un renfoncement à la sortie de l’exposition. La construction achevée, exposée, photographiée et scannée devient un nouveau modèle de figure qui prend place dans le diaporama. Exécutés rigoureusement depuis 1989, en ombre ou au trait, en plan ou en silhouette d’après mes sculptures, ils sont projetés alternativement pendant dix secondes suivant un critère de rangement changeant selon l’actualité de mes observations.
Je cherchais depuis longtemps un moyen de privilégier l’univers presque mathématique sous-jacente à mon travail qui me permet de rêver l’objet avant de le construire. Je commence par une ébauche au trait peu lisible, accompagnée de maquettes pouvant aller de l’échelle réduite jusqu’à la taille réelle. Au moment de fabriquer, je dois toujours garder en tête, l’intention et la fantaisie qui ont motivé sa composition en trois dimensions.

Dernière pièce de l’exposition, le manuel BCHN, un petit livre à couverture plastifiée blanche, accompagne le visiteur. Sa conception est étudiée pour élargir le champ de ce qui n’est pas montré dans l’installation, mais aussi pour suggérer les relations étroites entre les différentes pratiques artistique que je manie. Dessins noir et blanc et reproductions couleurs de mes œuvres s’enchaînent avec les images vidéo de la fabrication des passages, mélangées à une sélection des ‘Vitrines’, Paris-Berlin 1996/1997. La dernière partie est réservée au texte.

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