1990
Centre d’art contemporain de Kerguéhennec
Locminé
19 mai au 24 juin
Extrait Translations
Jean Genet se demandait ce qui serait resté d’ « un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes ». Moins encline à la métaphysique, ou à la provocation, Elisabeth Ballet se pose la question de ce qui arrive à une figure –motif géométrique, portion d’espace trouvée « toute faite »- lorsqu’on la met en mouvement à travers des champs hétérogènes. Du dessin vers la sculpture, du volume vers le plan, du plein vers le vide (ou l’inverse), et plus généralement d’une œuvre vers l’autre, son travail se fonde ainsi sur un principe de déplacement. Les pièces proposées suggèrent divers temps, divers états (au sens que ce mot prend dans le vocabulaire de la gravure), et s’offrent à la vue comme les éléments d’une phrase bien plus que comme des unités isolées.
Ce souci de la syntaxe apparaît déjà dans l’ensemble d’œuvres montré en 1988 à la Biennale de Venise et intitulé Des idées que l’esprit ajoute à celles qui sont précisément signifiées par les mots. Chacune des pièces qui le composait avait pour titre un fragment de cette phrase – ainsi Des idées, sorte de niche suspendue délimitant un espace inoccupé (emprunt fait à un aménagement d’intérieur aperçu chez un particulier, un peu à la manière dont Jeanne, l’année suivante, inclura dans sa composition une passoire napolitaine), ou Par les mots, grand volume de bois noir à la forme complexe, mixte de cercle et de quadrilatère prolongé par des parois en rideau. L’enchaînement des œuvres s’indiquait donc de lui-même, mais produisait comme une énigme. Au long de ce parcours, une phrase de Diderot sur la géométrie nous était donnée à lire (à celles qui sont précisément signifiées), en un tracé qui reprenait le dessin de que l’esprit ajoute et le spectateur comprenait plus ou moins confusément que ces quatre sculptures se voulaient organisées selon un récit abstrait. Comme dans les anciens arts de la mémoire, qui permettaient à un orateur d’avancer à l’intérieur de son propre discours tel un visiteur découvrant les différentes parties d’une maison, quelque chose indiquait ici une parenté ou une complicité entre l’espace et le langage.
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Dans Suite pour Face-à-Main, conçue tout récemment pour l’exposition de kerguéhennec, six sculptures séparées – quatre sur un mur, deux posées librement sur le sol – produisent non plus un volume mais un tracé. Sur la route, un dessin au trait sur toile, de 11,50 mètres de longueur, aboute les mises à plat des pièces qui l’entourent en une sorte d’éclaté qui ramènerait les côtés de chacune sur le plan.
Jean Genet wondered what would have remained of a “Rembrandt torn into small and very uniform squares, and dumped into the toilet”. Less inclined to the metaphysical, or to provocation, Elisabeth Ballet asks herself what would happen to a figure – geometric motif, portion of space found ‘ready-made’ if it were set in motion across heterogeneous fields. From drawing toward sculpture, from volume toward flatness, from the full toward the empty (or the reverse), and, in general, from one work toward another, her activity is based accordingly on a principle of movement. The proposed pieces suggest various times, various states (in the sense that this word assumes in the vocabulary of etching), and offer themselves up to view as the elements of statement, rather than as isolated units.
This concern for syntax already appears in all the works shown in 1988 at the Venice Biennale and called Ideas that the mind adds to those which are precisely signified by words. Each of the pieces making up the show was named by a fragment of this phrase – hence ideas, a sort of suspended niche bounding an unoccupied space (borrowing from an interior arrangement observed at a friend’s, somewhat in the same way that Jeanne, in the following year, included a Neapolitan colander in his composition), or by words, a large volume of black wood of complex shape, a combination of circle and quadrilateral prolonged by a curtain of walls. The sequencing of the works was this clear by itself, but generated a sort of enigma. Throughout this passage, we were given to read a saying by Diderot on geometry (to those which are precisely signified) and the viewer understood more or less confusedly that these four sculptures were intended to be organized according to an abstract tale. As in ancient arts of memory, which enabled a speaker to advance within his own speech like a visitor discovering the different parts of a house, something indicated here a family relationship or a complicity between the space and the language.
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In Suite for Face-à-Main, done only recently for Kerguéhennec Exhibition, six separate sculptures – four on the wall, two placed freely on the ground – produce, not a volume, but a trace. On the Road, an associated line drawing on canvas, 11,5 metres long and also placed on the ground, abuts the horizontal pieces surrounding it in a sort of exploded view that brings the sides of each to the plane.
Traduction : Nissim Marshall