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TOUT EN UN PLUS TROIS

Musée d’art contemporain le MAC VAL
Vitry-sur-Seine
2017/18


Introduction
Frank Lamy

Les œuvres d’Élisabeth Ballet, en général, découlent de l’épreuve d’un lieu, se construisent et s’élaborent à partir des contraintes et spécificités de l’occasion pour laquelle elles sont produites. Dans le cas d’une rétrospective, qui, par essence, réunit de l’hétérogène, comment jouer de cette relation d’interdépendance forte avec le lieu d’origine dans un lieu d’arrivée à l’architecture très prégnante ?
Nous avons élaboré plusieurs hypothèses, plusieurs scenarii. Nous avons fait des choix. « Nous nous sommes concentrés sur des sculptures détachées de leur contexte de réalisation, elles sont prélevées dans les séries Vie privée, Sept pièces faciles, Night Roofline ou Face-à-main. Les contraintes matérielles et personnelles sont capitales dans le choix, la création, l’orientation conceptuelle d’une exposition. » Et avons opté pour un regard rétrospectif, privilégiant les œuvres autonomes, posées là, comme nonchalamment disposées, arrangement dandy, qui réfléchissent la question du lieu, orchestrent le déplacement. Elle dit : « J’imagine les œuvres un peu comme les pièces d’un billard électrique. L’exposition se vit par rebond d’une pièce à l’autre. »
Une exposition raconte une histoire/des histoires. Un récit spatial et mental. Qui excède la seule réunion, dans un même espace, d’œuvres disparates. Pour Élisabeth Ballet, chaque exposition est un terrain de remise en jeu.
Les œuvres, ici, sont autant de fragments, d’éléments d’un récit que constitue(nt) la série et/ou l’exposition pour laquelle elles ont été réalisées. L’exposition rétrospective prélève dans ces récits des parcelles, des éléments hétérogènes, pour les agencer, les moduler en d’autres faisceaux narratifs.
Tout En Un Plus Trois.
Les notices qui accompagnent chaque œuvre, chaque exposition, rédigées par l’artiste après coup, font état de leurs origines, de leurs mouvements, de leurs fabriques ; elles sont racontées, narrées, prises dans un récit global, une « chronique biographique » elle-même composée de l’assemblage de toutes ces gestes racontées, mais jamais n’assignent un sens, une direction, une signification autre que celle de leur nécessaire présence.
Les œuvres d’Élisabeth Ballet ressortent du lieu de la sculpture. Souvent, elles désignent un espace qu’elles n’occupent pas, contiennent du mouvement suggéré, induit, représenté. Les œuvres sont tout autant d’îlots, d’archipels narratifs qui s’ancrent, traduisent, formalisent quelque chose d’une expérience singulière du monde.
Chaque œuvre fonctionne comme un syntagme. Réassemblées, reconfigurées, ré-agencées, elles produisent de nouvelles phrases, de nouveaux énoncés. Des récits inédits.
Le travail met en forme une traversée, un usage unique, personnel du réel. Il active quelque chose d’une économie quasi psychanalytique, analytique pour le moins. Élisabeth Ballet suggère de « peut-être proposer une nouvelle lecture plus psychanalytique, dans laquelle ce vide, ce degré zéro, peut avoir une source plus personnelle, de l’ordre d’un espace de la mémoire intentionnellement laissé vacant (pour des raisons de survie en général) ».
Elle dit : « L’escalier, l’échelle, le corridor sont des sculptures de passage d’un lieu vers un autre ; le carton indique l’éphémère, le déménagement ; la boîte ce qui est caché, conservé. » Et aussi : « L’absence, le silence… occupent mon travail. » Elle ajoute : « Les sculptures-enclos sont pleines d’absences à elles-mêmes, comme soustraites de l’espace qu’elles occupent, c’est le lieu d’une histoire muette. J’en dessine méticuleusement chaque détail comme s’ils étaient agrandis à la loupe, leurs gravités sont dans leurs contours extérieurs et dans les assemblages, leur centre est silencieux. »
Il y a quelque chose de la vacance. Comme un vide, une suspension, une absence, une disponibilité.
Les œuvres d’Élisabeth Ballet sont autant de matérialisations de la pensée en train de se faire. L’esprit et le corps en mouvement. Activent également la réflexion de celles et ceux qui regardent et contournent.
Orienter les regards, les perspectives, les corps. Dessiner, organiser la trajectoire, le plaisir de dérouter, de rythmer l’espace. Entourer, enchâsser, emboîter, superposer, imbriquer, enclore, délimiter, protéger, isoler, entourer, détourer, prélever, préserver, cerner, qualifier, désigner…
Arpenter, contourner, déambuler, marcher, traverser, parcourir, entrer, sortir, buter…
Les œuvres d’Élisabeth Ballet en appellent à l’expérimentation individuelle. Le visiteur est face à des objets, des situations, des lieux. Des espaces de projection, de désignation.
Seuils, transitions, paliers, barrières, couloirs, corridors, enclos, balustrades, capots, écrans… Elle précise : « Tout ce qui sépare. » Elle privilégie les espaces de passage, de transition.
Ni l’un ni l’autre. Et l’un et l’autre.
Des matériaux de construction, de transition, de déplacement, de protection. Carton, parpaing, métal, film plastique, etc. Toute une matériologie particulière.
Ce qui est représenté (comme autant de fragments détachés du réel, refaits, repris, reproduits), les matériaux utilisés, les titres (de chaque œuvre individuellement ainsi que de chaque série) activent des déflagrations poétiques, des suspensions sémantiques qui produisent autant de récits nouveaux.
Si le travail d’Élisabeth Ballet s’ancre dans une expérience intérieure et intime du réel, et dans ses possibles transcriptions, si l’artiste résiste à toute interprétation sociopolitique de ses œuvres, tout au moins pour en décrire les intentions, ces variations déroulées autour de motifs tels que la clôture, le seuil, la frontière ne sont pas sans résonner singulièrement avec l’actualité immédiate.
Beau comme la rencontre d’une hotte de cuisine avec un mur de parpaings sur une table d’orientation.

Introduction
Frank Lamy

Élisabeth Ballet’s works usually originate in the experience of a specific site ; they are elaborated and constructed out of the constraints and specificities of the occasion for which they are produced. In the case of a retrospective, which by definition is an assemblage of heterogeneous elements, how can original, strong interdependence with the originating locus be conveyed in a secondary space whose architecture is itself very resonant ?
We worked out several hypotheses, several scenarios. We made choices. ‘We concentrated on the sculptures independently of the context of their making. They were sampled from the series Vie privée, Sept pièces faciles, Night Roofline and Face-à-main. The material and personal constraints are essential in choosing, creating and conceptually shaping an exhibition.’ And we opted for a retrospective view, preferring autonomous works, simply placed there, as if nonchalantly laid out, in a dandyish arrangement where they reflect the question of place and orchestrate movement. She says : ‘I imagine the works rather as the pieces in an electronic billiards game. Seeing the exhibition is like rebounding from one piece to another.’
An exhibition tells a story/stories. A spatial and mental narrative. This goes beyond the simple fact of bringing together disparate works in the same space. For Ballet, each exhibition is a replayground.
Each of the works here is a fragment, part of a narrative constituted by the series and/or the exhibition for which they were made. The retrospective exhibition samples sections and heterogeneous elements from these narratives, organising them and modulating them in other narrative weaves.
All in one plus three.
The notes that accompany each work and each exhibition, written by the artist after the event, relate their origins, their movements and their making. They are related, narrated and placed in an overall narrative, a ‘biographical’ chronicle that is itself made up of the assemblage of all these related gestures, but never assigns a meaning, a direction, a signification other than that of their necessary presence.
Ballet’s works are grounded in the place of sculpture. Often, these works designate a space that they do not occupy. They frequently contain movement that is suggested, induced, represented. They are islands, narrative archipelagos that are anchored in, translate and formalise something of a singular experience of the world.
Each work functions like a syntagm. Reassembled, reconfigured, reordered, they produce new sentences, new utterances. Fresh stories.
The work shapes a journey, a personal and unique way of using the real. It activates something of a quasi-psychoanalytic economy, or one that is analytic, at the very least. It suggests the ‘proposition of a new, more psychoanalytic reading in which this emptiness, this degree zero, may have a more personal source, a kind of space of memory intentionally left vacant (for reasons of survival in general).’
She says : ‘The staircase, the ladder, the corridor, are sculptures of the passage from one place to another ; cardboard indicates the ephemeral, moving ; the box, that which is hidden, preserved.’ And also : ‘Absence, silence . . . occupy my work.’ She adds : ‘The enclosure-sculptures are full of self-absences, as if withdrawn from the space they occupy. It is the place of a silent story. I meticulously draw each detail as if they were seen through a magnifying glass. Their gravity is in their external contours and in the assemblages, while their centre is silent.’
There is something of vacancy here. An emptiness, a suspension, an absence, an availability.
Each of Ballet’s works is a materialisation of ideas in gestation. The mind and body in motion. They also activate the reflection of those who look and circumvent.
Orienting the gaze, perspectives, bodies. Drawing, organising trajectories, the pleasure of disconcerting, imparting rhythm to space. Surrounding, insetting, nesting, superposing, imbricating, enclosing, delimiting, protecting, isolating, surrounding, outlining, sampling, preserving, apprehending, qualifying, designating . . .
Measuring, circumventing, ambulating, walking, crossing, covering, entering, leaving, butting.
Ballet’s works invite individual experience. Visitors are confronted with objects, situations and places. Places of projection and designation.
Thresholds, transitions, stages, barriers, corridors, enclosures, balustrades, covers, screens – she specifies : ‘Everything that separates’. She prefers spaces of passage, of transition.
Neither one nor the other. Both one and the other.
Building materials, materials for transition, movement, protection. Cardboard, breeze block, metal, plastic film, etc. A particular world of materials.
What is represented (like so many fragments breaking off from the real, remade, reprised, reproduced), the materials used and the titles (of each work individually and of each series) together activate poetic deflagrations, semantic suspensions that produce as many new narratives.
Although Ballet’s work is grounded in an inner, personal experience of the real and in its possible transcriptions, although the artist resists any socio-political interpretation of her works, at least when it comes to describing their intentions, these variations centred around motifs such as enclosure, threshold and frontier resonate to singular effect with current events.
As beautiful as the chance encounter between a kitchen hood and a breeze-block wall on a toposcope.

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Michel Gauthier, FR

Michel Gauthier, GB

Elisabeth Lebovici, FR

Elisabeth Lebovici, GB

Julie Portier, FR

Julie Portier, GB

Philippe Vasset, FR

Philippe Vasset, GB

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