1993
Commande publique
Centre d’art contemporain
Domaine de Kerguéhennec, Locminé (FR)
Un moment dans la cage extrait par Jean-Pierre Criqui
Située dans un endroit du parc relativement à l’écart des parcours en évidence, l’œuvre qu’Elisabeth Ballet a conçue pour Kerguéhennec répond de manière singulière à quelques-uns des problèmes qui ne manquent jamais de se poser en cas de rencontre entre l’art et la ‘nature’ (aussi domestiquée soit elle). Le champ de ces problèmes est borné par deux termes : intégration et affrontement. L’un comme l’autre exige que l’artiste prenne en considération l’environnement immédiat dans lequel il doit intervenir et en tire des conclusions, notamment en matière d’emplacement, de dimensions et de matériaux. L’expérience démontre qu’il n’existe pas dans ce domaine de parti qui soit spécialement assuré de réussite. La fusion avec le paysage s’accompagne toujours d’un certain risque d’insignifiance ; quant aux exemples de sculptures grotesquement superposées aux lieux qui les accueille, on ne les compte plus depuis longtemps.
Trait pour trait - Elisabeth Ballet
Dans la forêt du Domaine de Kerguéhennec, la sculpture « trait pour trait » est située à l’écart du parcours, au milieu d’une clairière étroite et longue cheminant vers l’étang. Elle est visible de loin mais on ne comprend pas ce qu’elle est. Un voile mat trouble la perception du paysage qui semble tramé en gris ; en s’approchant, la sculpture apparaît circulaire, occupant presque toute la largeur de la clairière. J’ai choisi ce lieu dans le parc sans savoir ce que j’allais y déposer. Avant tout, j’aimais cet endroit, son éloignement, la surprise de le découvrir calme, au détour d’un chemin forestier obscur et tortueux ; cette clairière m’apparut inattendue. Je m’y suis installée.
Je me demandais comment relier les concepts que je développais au même moment à l’atelier, avec un travail dans la nature. J’ai demandé à un géomètre de me dessiner un plan précisément limité à la clairière, avec les arbres et le dénivelé. Je travaille toujours avec un plan ; il représente la limite dans laquelle je vais me régler ; une maquette reconstitue l’espace ; de cette manière, je réfléchis à une sculpture pour l’extérieur, mais avec de la distance, au calme, dans mon atelier.
Après avoir marché longtemps, la sculpture se révèle enfin. Un ensemble de barreaux de cinq mètres de haut est disposé verticalement en un cercle de onze mètres cinquante de diamètre ; ils sont soudés par quatre anneaux en fer plat disposés horizontalement sur quatre niveaux. La structure fait penser à une cage. On entre par une porte découpée dans les barreaux qui se referment doucement, toute seule. L’herbe folle de la clairière pousse à l’intérieur et à l’extérieur du cercle. Lors de ma première visite, de belles toiles d’araignées couvraient la surface de la clairière que personne ne traversait.
J’ai décidé de construire ma sculpture en acier inoxydable non poli, afin que le métal ne devienne pas aveuglant au soleil ; les barreaux en métal gris mat trament le paysage, tandis que, de l’intérieur, la forêt est vue à travers des barreaux ? Au sommet, les barreaux sont recourbés légèrement vers l’intérieur afin d’en arrêter la fuite vers le ciel ; ainsi, la sculpture est bloquée par le haut, par le bas et sur les côtés par les arbres, comme des murs d’enceinte. Mon travail se fonde sur le déplacement : des mots aux choses, du dessin vers la sculpture, du mur vers le centre, du plan vers le volume et plus généralement d’une œuvre vers l’autre. J’ai construit « Trait pour trait » à l’exemple d’une sculpture réalisée en 1990 intitulée ‘Face-à-main’ ; depuis, je développe une pensée à trois-cent-soixante degrés : ce que je regarde entraîne une idée, une phrase, une sculpture. À Kerguéhennec, les arbres encerclant totalement la clairière, sont devenus mes modèles : leurs longs fûts verticaux, au centre de la clairière, se sont convertis en barre d’acier formant un cercle, trait pour trait avec le paysage.
A moment in the Cage Jean-Pierre Criqui
Elisabeth Ballet’s work for kerguéhennec is set in an area of the grounds that is slightly removed from the most obvious itinerary. Here, it offers a particular response to some of the problems that are inevitably raised when art meets ‘nature’ (even in her tamed version). The domain of these problems is delimited by two words : assimilation and confrontation. Both terms require the artist to take into account the immediate environment in which he or she must operate, and draw conclusions from it, particularly where placement, dimensions and materials are concerned. Experience shows that there is no course here that is especially assured of success. A merger with the landscape invariably invites the attendant risk of (paling into) insignificance. As far as sculptures grotesquely superimposed on their sites are concerned, we lost count ages ago.
Trait pour trait - Elisabeth Ballet
The sculpture « Trait pour Trait » stands in the Domaine de Kerguéhennec forest away from the footpaths in a long, wide clearing that leads to a pond. The dimensions of the sculpture are imposing.
One can see something from a distance without realizing what it could be. A dull veil clouds the view of the landscape that appears to have a gray grid on it. When one approaches the sculpture, it is seen to be round, taking up nearly the whole width of the clearing. One has to walk some distance before finally being able to recognize the sculpture.
A group of five meters high rods is placed vertically in a circle eleven-fifty meters across. The rods are welded together with four flat-sided iron rings, which are attached horizontally at four different levels. The sculpture immediately suggests a cage. A door that is cut into the rods closes very quietly by itself as soon as one has gone through it. The grass in the clearing grows both inside and outside the circle. The first time I saw this place, there were beautiful cobwebs covering this clearing that no one ever walked through.
I decided to make my sculpture out of unpolished stainless steel to avoid a glare in the sunlight. The gray metal rods create a pattern against the landscape, which can also be seen from the inside through the rods. The rods are arched slightly inward at the top to arrest their flight into the sky. They are arranged in such a way that the sculpture is closed off at top and bottom, and the trees form a kind of wall on the sides.
I chose this site in the park without knowing beforehand what I would do there. Most of all, it was the place I liked, its solitude, the surprise of discovering it, its peacefulness at the turn of a dark, hidden forest path. This clearing really is unexpected when one comes across it. I sat down there. I wondered how the concepts for my work, which I was developing at the same time in my atelier, could be linked to a work outside. I imagined this site as an ordinary exhibition space. For this reason, I asked a surveyor to draw an exact plan of the clearing for me indicating the trees and the unevenness of the ground. I always work with a plan representing the borders, within which I find my rules. Then I reconstructed the space using a model. In this way, I was able to create a sculpture for an external space, but from a distance, in peace and quiet in my atelier.
My work is based on a principle of displacement – from words to things, from the drawing to the sculpture, from plan to volume, from perimeter to the centre, and – more generally speaking – from one work to the next. I created “trait pour Trait” according to the pattern of a sculpture I made in 1990, which was called “Face-à-Main”. I developed an idea at a 360° angle : what I see, what may be seen around me, enters into the construction, serves as a model – a sculpture, a sentence, a thought. In Kerguéhennec, the trees that completely encircle the clearing became my model – their long vertical trunks were transformed into steel rods placed in the centre of the clearing forming a circle – a very picture of the face of the landscape (“trait pour trait avec le paysage”).