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NIGHT ROOFLINE

1999
le Creux de l’Enfer, centre d’art contemporain
Thiers (FR) (05.03-16.05)


Après l’installation BCHN au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, les corridors en plastique translucide ont été détruits. Et le contenu du diaporama augmente sans cesse.
J’ai expérimenté ailleurs la présentation de mes vidéos ‘Vitrines’, Paris-Berlin 1996/97 combinée avec un choix d’œuvres isolées : les fenêtres, les murs et le parquet se réfléchissent sur le capot en Plexiglas de la sculpture Contrôle 3 exposée en Norvège (à Moss), tout comme l’activité de la rue se reflète sur les devantures des magasins dans les vidéos. À Sydney, les vidéos sont posées sur une surface en bois recouverte par de la moquette bleue ‘gauloise’, à proximité du plancher circulaire de ‘Cale’ ceinturant une rangée de néons.
Le projet Night Roofline a eu lieu dans trois espaces d’exposition : au Creux de l’enfer (Thiers), et au Parvis (Pau et Ibos). J’étais très intéressée par la perspective d’expérimenter trois accrochages avec les mêmes œuvres, et cela s’accordait bien avec mon désir de prolonger une réflexion entamée, et trop vite suspendue par la disparition des corridors de BCHN à Paris. J’ai transféré mes observations en construisant des petites et moyennes sculptures, et j’ai choisi des matériaux adaptés à une méthode de fabrication légère. Elles se déplacent facilement. Chaque pièce est conçue séparément : elles sont autonomes.

Le Creux de l’Enfer, ancienne fabrique de couteaux accrochée sur le flanc de la montagne, dispose de trois étages bâtis sur le même plan, mais avec des caractéristiques spécifiques : l’espace de la cave, sombre ; le rez-de-chaussée, en friche. Le premier étage peint en blanc du sol au plafond, lumineux. Au sous-sol, j’ai fait construire une cellule de quatre mètres sur quatre pour installer le diaporama. Mes dessins au trait noir défilent sur le mur blanc, tout au long de la journée.
Un étage au-dessus, l’exposition s’ouvre sur Boléro. Un couloir souple en aluminium sablé, coulisse dans un rail formant un coude. Il peut se déployer ou se comprimer d’un côté et de l’autre, dans le sens de la largeur et de la profondeur. Je peux lui choisir une dimension appropriée à l’endroit ou il est installé. Ici, je l’ai étendu au maximum du côté des fenêtres, tandis que l’autre partie resserrée, est orientée vers le centre de la salle.
La sculpture, dès l’entrée, interrompt le parcours en ligne droite. Sa structure extensible et le lieu stable dans lequel elle se trouve lui donnent une réalité incertaine. Selon qu’elle est en expansion ou qu’elle se rétracte, elle apparaît fluide, épanouie et légère ou solide, résistante et inébranlable.
Les constructions Fabrique I et Fabrique II sont des représentations inspirées directement par celles du corridor BCHN. Elles sont fabriquées, tout comme à l’ARC, par modules à assembler, de forme et d’épaisseur distincte selon leur usage dans le jeu de la sculpture.

Fabrique I est installée en dessous du niveau des fenêtres qui ceinturent la moitié du bâtiment, de l’autre côté, la paroi en granit du rocher est à nu.
Elle compte six modules composés d’un panneau pour le plancher, un pour le fond, un autre pour le plafond et trois tasseaux en L pour les soutenir. Je les ai disposés en U autour d’un rectangle central d’une manière telle, qu’aucun de ses côtés ne soit semblable. Une plaque épaisse, placée entre deux groupes parallèles, clôture le quadrilatère, tandis qu’une autre plus fine, sort du volume de la pièce en s’inclinant pour toucher le sol.
Le montage terminé, elle mesure quatre-vingt-quatre centimètres de haut, trois cent cinquante centimètres de long, et cent soixante-dix centimètres de large. Le bois est peint en gris. La construction se perçoit comme la maquette d’un corridor. La peinture grise qui recouvre la sculpture contribue à la faire paraître très austère. Régulière et ordonnée, Fabrique I est apaisante. Son circuit se prolonge hors de ses méandres, dans la salle ; la planche qui émerge de la structure en rejoignant le sol, relie le plancher de la sculpture à celui du bâtiment que l’on traverse. À force d’en suivre les contours, on se projette marchant à l’intérieur de la sculpture. La construction me rappelle l’agencement intérieur d’un gros meuble de bureau dans lequel je me cachais enfant.

Fabrique II est une sculpture dense et dynamique. Son principe est simple, elle se compose de quatre modules de même longueur (151cm) et largeur (37cm), mais de hauteur dégressive (115cm, 107,5cm, 99,5cm, 92cm). En hauteur, sur pilotis, ils se chevauchent en définissant un carré central vide. Assemblée, elle mesure cent quinze centimètres de haut, cent quatre-vingt-huit centimètres de long, cent cinquante et un centimètre de large. Le bois est peint en violet. Fabrique II a été construite sur le modèle d’un détail qui m’avait frappé dans la construction de BCHN (deux corridors qui, en se croisant, passent loin l’un au-dessus de l’autre, tandis que le plancher à cet endroit est nivelé). Les corridors en plastique de l’ARC étaient pensés comme une sculpture, c’est-à-dire un objet à trois dimensions, je n’ai jamais eu l’intention de créer "un espace" pour détourner l’architecture du musée. J’ai sélectionné la couleur violette parce qu’elle se rapporte rarement à une chose naturelle ; trop intense, elle est rarement admise dans un appartement. La sculpture rejette l’espace autour d’elle : l’organisation complexe de la structure des corridors imbriqués en ordre compact, et le choix de la couleur franchement éclatante y contribuent.

Ça m’intéresse imite un mètre de menuisier. Il est taillé dans une plaque d’aluminium, en cinq épaisseurs de quatre-vingts centimètres de large et d’un mètre quinze chacune ; déployé, il mesure cinq mètres.
Plié sur lui-même, il est posé sur le béton au milieu d’une travée. L’idée de sa fabrication m’est venue en cherchant les contours des sculptures en bois. Au lieu de fabriquer une maquette avant de construire à la taille réelle, je préférais manipuler des planches posées sur le sol de mon atelier, je les combinais de façon à créer des angles orientés dans toutes les positions. Elles sont devenues un outil simple pour travailler. Au Creux de l’Enfer le mètre en aluminium est inopérant, il est exposé comme une borne témoin de mes recherches à l’atelier.
Ça m’intéresse évoque une sculpture intitulée Dans la rue (1990). Elle consistait en un empilement de bois aux formes nettement découpées. J’avais tracé le dessin d’une grande rosace que j’avais divisée en bandes étroites puis réalisé en trois dimensions avec des planches en médium placées l’une sur l’autre jusqu’à créer un objet de vingt centimètres de haut sur vingt et un de large et deux cent soixante-dix de long.

Le titre Pièces détachées BCHN inclut une maquette en aluminium, des vidéos et une plate-forme en bois recouverte de moquette rouge, l’ensemble s’étend à toute la surface du dernier niveau. À cet étage, la lumière et le soleil rentrent à flot, et se répandent sur la blancheur des murs et du sol. Face au panorama, les archives du Creux de l’Enfer, retenues dans une série de placards en mezzanine, accentuent le caractère spirituel et immatériel du lieu, en particulier en venant des étages inférieurs plus sombres et non peints. En découvrant cette salle lors de ma première visite, je suis allée directement regarder le paysage à travers les fenêtres en me désintéressant de l’intérieur. Je me suis sentie instantanément projetée vers les fenêtres parce que leurs ombres portées sur le sol déterminent exactement la profondeur de la salle. Cet étage a l’air d’avoir été construit uniquement pour aller voir la vue d’en haut. J’ai décidé de travailler sur le plan du sol. L’installation n’outrepasse pas la hauteur des deux moniteurs sur lesquels passent les bandes vidéo ‘Vitrines’, Paris-Berlin 1996/97.
L’un d’eux est déposé juste en dessous des baies vitrées, à l’ombre du mur. Les images des devantures vides filmées durant la journée redoublent l’image bien réelle du cadre de la fenêtre ; vision simultanée des deux plans : celui du paysage extérieur, qui ne change pas, et ceux qui défilent sur l’écran et qui se renouvellent toutes les trois secondes. L’emplacement de la télévision auprès des fenêtres ramène notre attention vers ce qui se passe dans la salle d’exposition.
La deuxième vidéo, filmée de nuit avec un ralenti, est positionnée à l’ombre de la mezzanine, dans une autre durée : chaque plan dure trente secondes.
Un plancher en forme de L recouvert d’une moquette rouge écarlate identique à celle qui tapissait le sol des corridors BCHN, est orienté au milieu de l’espace. Le modèle en aluminium reconstitue au sixième les corridors de l’exposition de l’ARC, il restitue les dimensions des salles beaucoup plus vastes du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Il est divisé en plusieurs pièces, comme l’original en plastique. Le métal soudé et sablé unifie les assemblages. Le potentiel de l’espace concerne tous les sculpteurs, mais je m’intéresse à sa capacité abstraite (plus qu’à ses dimensions mesurables) qui définit et est définie par la sculpture. Chacune des vidéos, la plate-forme et la maquette paraissent éloignées dans un temps et dans un espace qui leur convient séparément.

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