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BCHN 1997

Installation, plastique translucide, acier, bois, moquette rouge
Dimensions variables suivant la taille de la salle
Musée d’Art moderne de la ville de Paris


Mon exposition à l’ARC est le prolongement d’un travail intitulé ZIP installé en Autriche. Son renouvellement n’est pas dû au changement de lieu. Cet ensemble inclut un dispositif vidéo et sonore.
À Linz, deux corridors élevés sur un plancher en bois longeaient une succession de baies vitrées ouvertes sur la ville. Leur conception dans la pièce s’appuyait sur les qualités de l’espace (bruits de la ville et vétusté de la salle), tandis qu’au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’espace, bordé de murs épais et baigné de lumière zénithale, est isolé de tout contexte urbain. À Paris, l’interpénétration des espaces du musée avec ceux, autonomes, de la sculpture, rétablit les notions d’extérieur et d’intérieur. La sculpture reproduit fidèlement le contour d’une boucle au marqueur rouge, tracée sur les plans que l’on m’avait communiqués. Les quatre galeries B.C.H.N., ordonnées et associées par modules sensiblement égaux, s’ajustent aux dimensions des salles. Ces modules sont constitués d’une charpente métallique à section carrée de 50 mm d’épaisseur sur laquelle est tendu, sur une face latérale et sur le dessus, un film plastique translucide de couleur laiteuse ; tandis que l’autre face latérale n’en est pas recouvert, de sorte que l’armature est apparente. Un plancher en bois tapissé d’une moquette rouge vif parcourt la face du dessous et relève le niveau du sol. Les deux œuvres intitulées respectivement
« Vitrines » Paris-Berlin (1996-1998) et Corridor vert (1997) s’ajoutent à l’installation de la structure en plastique, indépendamment de son étendue. J’ai abordé les projets du diaporama et de la bande-son au moment de la conception du catalogue avec les graphistes M/M. L’ensemble que composent toutes ces pièces est intitulé BCHN.
Impossible d’appréhender BCHN d’un seul coup d’œil. Tous ses éléments s’organisent autour du plan au sol de couloirs qui se brisent en angle droit. Leurs trajets déterminent des espaces nouveaux, ils se conforment aux lieux sans intention de les cacher ni de les oublier ; au contraire, les travées latérales non recouvertes de plastique côtoient la présence concrète des murs qui s’élèvent à 30 cm de distance, ils guident nos pas dans le tunnel. Chaque embranchement compose un tableau géométrique abstrait noir, blanc et rouge, parfaitement cadré. Spécialement au début de l’exposition. Une vitre obstrue la moitié du passage à la frontière entre les salles que j’occupe et les autres parties du musée. L’incrustation du titre BCHN appliqué sur la surface transparente, par un effet de perspective dû à la profondeur de champ, se lit en surimpression avec la sculpture éloignée de 10 m. À gauche de cette ligne, l’ouverture béante du couloir, élargie à l’autre moitié de l’espace de l’entrée, dissimule complètement la salle. La profondeur et la lumière voilée dans le passage contrastent avec la frontalité de l’espace contigu, immergé dans un éclairage éblouissant.
La moquette rouge engage le visiteur à pénétrer dans le passage. De la salle, il ne voit que le mur sur sa gauche ; enfermé dans la profondeur du tunnel, il ajuste lentement son pas à sa pensée.
Haut de 2,30 m, large de 2,50 m à l’entrée, il se réduit à 1,50 m au bout de ses 24 m de longueur. Les bifurcations et les croisements, à la dimension d’une travée (2,50 m), ne sont pas cloisonnés, de sorte que l’entrée ou la sortie soit aisée.
Le couloir tourne à gauche dans une autre pièce aussi lumineuse qu’inattendue, car il faut s’accoutumer à voir de nouveau. En effet, à cet endroit, le dispositif du corridor est inversé : les cloisons en plastique translucide bordent les murs en angle droit, tandis que la structure du passage (la moquette de couleur rouge vif et la tubulure en acier) est apparente de l’extérieur.
Le ruban de la longue galerie se déroule travée par travée, sans rigidité ; il faut 40 secondes pour parcourir les 25 m à découvert avant de disparaître à nouveau enveloppé dans le tunnel, de nouveau face au mur. 40 secondes de silence, c’est l’unité de mesure entre deux sons diffusés par les haut-parleurs fixés aux poutres métalliques de la verrière. Quinze échantillons, sélectionnés sur des disques de musique de type techno, chacun répété vingt-quatre fois, font écho au rythme de la progression dans les travées régulières de la galerie. L’accoutumance et la cadence entre la répétition de la marche et du son stimulent la rêverie, le souvenir ou les spéculations de tout ordre. L’ultime mesure terminée, l’espace reprend sa place avec le silence qui s’installe, il faut réadapter son corps à son esprit, attendre la prochaine énumération de sons ou continuer son chemin. Ce dernier mesure presque 24 m de long, il traverse la distance des deux salles d’exposition. À mi-distance, il croise le corridor qui parcourt la première salle en passant au-dessus de lui, perpendiculairement à son axe. La boucle est bouclée.
La première vidéo, « Vitrines » Paris-Berlin, est installée au bout de l’allée, hors du contour de la sculpture, dans un emplacement en réserve peint en noir. Le film, pris de nuit, montre une succession de quinze devantures éclairées bien que désertes : des magasins, des halls d’hôtel, des bureaux en cours de rénovation. Chaque séquence dure 30 secondes. La caméra décrit de légers mouvements contre la paroi en verre. Le film est enregistré au ralenti pour obtenir une image plus dense, les milliers de pixels en mouvement donnent une épaisseur trouble à l’espace.
La seconde vidéo, filmée de jour, est accrochée en vis-à-vis, quelques mètres plus loin, à l’encoignure d’un passage couvert, en direction du Corridor vert qui achève l’itinéraire de l’exposition. L’objectif est plaqué contre la vitre close de trente boutiques abandonnées ou mises en location. Le film est tourné en images fixes, en temps réel pendant une durée de 3 secondes.
En 1996, l’armée russe quitta le territoire de Berlin, le laissant en friche. Tout ce qui pouvait être emmené fut enlevé, des centaines de locaux en cessation d’activité furent fermés. Les Américains, partis avant, abandonnèrent un quartier d’habitation entier. Un nouveau biotope repoussait au détour de rues très actives et dans les no man’s land autour du mur détruit. Les terrains vagues inexploités par la Ville étaient les endroits où je me vidais la tête autant que les yeux. J’essayais de comprendre et d’imaginer leur origine, ils m’intéressaient aussi beaucoup comme espaces sans nom, en attente. Les films ont été l’occasion de longues promenades en ville, commencées de jour, puis la nuit. Les éclairages localisaient des parcelles de terrain, insondables et pénétrantes, ou illicites et ignorées durant la journée. J’ai accumulé de nombreuses séquences, sans qualité esthétique et en désordre. De retour à Paris, il m’a paru nécessaire de faire un film. Le plaisir que j’éprouvais à rechercher et à filmer était au moins aussi profond que les songes nourrissant mon activité à l’atelier. Il me semble que la visite de ces lieux inhabités m’a rappelé l’espace vide qui est toujours au centre de mes constructions, sa présence est essentielle, je ne peux m’en passer, il représente sans doute un moment de repos dans la lecture de l’œuvre. Plus que toute autre explication, le décryptage de ces films s’est révélé être une sorte de métaphore de mon travail. La sculpture est un obstacle que l’on ne peut franchir, elle dessine un territoire formel circonscrit et alimenté par mes observations dans la rue. Ce point de vue est transposé dans les vidéos : la caméra posée contre les vitrines des devantures découvre le volume de l’espace que plus personne n’occupe. De jour, un miroir fixé quelque part dans la pièce révèle la proximité de la rue, un passant ou une automobile, très vite passés, et l’espace retrouve sa tranquillité.
La nuit, la réflexion de la circulation automobile, impressionnée sur la surface de la vitrine comme un écran, s’oppose à l’immobilité de halls déserts.

My exhibition at the ARC is an extension of a work titled ZIP installed in Austria. Although its form is renewed, this is not due to the change of location. This ensemble includes a video and sound apparatus.
In Linz, two corridors raised on a wood floor run alongside a succession of windows giving onto the city. Their conception here responds to the qualities of the space (noises from the city, the run-down room), whereas at the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, the space with its thick walls and overhead lighting, is cut off from the urban setting. In Paris, the interpenetration of the museum spaces with the autonomous ones of the sculpture re-establish the notions of exterior and interior.
The sculpture faithfully reproduces the contour of a loop drawn in red marker pen on the plans I was given. The four galleries of the B.C.H.N., which are ordered and combined in modules that are roughly the same size, are adapted to fit the dimensions of the rooms. They are built with a metal square-section framework 50 millimetres thick and milky-coloured translucent plastic film is hung over one side and the top, whereas the armature is visible on the other side, which has no covering. Wooden flooring covered with a bright red carpet marks out the direction and raises the level of the floor.
The two works, respectively titled ‘Vitrines’ Paris-Berlin (1996-1998) and Corridor vert (1997), are added to the installation with the plastic structure, from which they are spatially independent. I worked on the slide show and soundtrack projects when I was preparing the catalogue with the graphic designers M/M. The ensemble formed by all these pieces is titled BCHN.
It is impossible to take in BCHN at one go. The elements are all organised around the floor plan of the corridors, which meet at right angles. Their trajectories define new spaces. They follow the space but do not work to hide or forget it ; on the contrary : the lateral spans not covered with plastic sit alongside the concrete presence of the walls 30 centimetres away. They guide our steps in the tunnel. Each connection composes a black, white and red geometrical abstract painting that is perfectly framed. Especially at the beginning of the exhibition. A glass pane obstructs half of the passage between the rooms that I occupy and the other parts of the museum. By an effect of perspective due to the depth of the fields, the inlaid title BCHN applied to the transparent surface seems to be superimposed over a sculpture 10 metres away. To the left of this line, the gaping opening of the corridor, extended to the other half of the entrance space, completely hides the room. The depth and the filtered light in the passage contrast with the frontality of the contiguous space, bathed in a dazzling light.
The red carpet induces visitors to enter the passage. From the room they can see only the wall on their left ; confined by the depth of the tunnel, they slowly adjust their steps to their thoughts.
Some 2.30 metres high, 2.50 metres wide at the entrance, it narrows to 1.50 metres at the end of its 24-metre length.
The bifurcations and the intersections, the size of a span (2.50 metres), are not partitioned, making them easy to enter. The corridor turns left into another room that is as luminous as it is unexpected, for we must grow used to seeing again. Indeed, at this point the device of the corridor is inverted : the translucent plastic partitions line the walls at a right angle, while the structure of the passage (the bright red of the carpet and the steel tubing) is visible from the outside. The ribbon of the long gallery unreels span by span ; it takes forty seconds to walk the open 25 metres before once again disappearing, swallowed up once again by the tunnel, once again facing the wall. Forty seconds of silence is the unit of measurement between two sounds played by the speakers fixed to the metal beams of the glass roof. Fifteen samples, chosen from techno-style records, each one repeated twenty-four times, echo the rhythm of progression in the regular spans of the gallery. Familiarisation and the rhythm set up by the repetition of the walking and the sound are conducive to dream, memory and all kinds of speculation. When the last measure is finished, the space resumes its position as silence falls, and we must readapt our body to our mind, wait for the next enumeration of sound, or continue along the path. This is nearly 24 metres long, running the length of two exhibition rooms. At mid-distance, it crosses the corridor that runs through the first room, passing over it, perpendicular to its axis. We have come full circle.
The first video, ‘Vitrines’ Paris-Berlin, is placed at the end of the alley, outside the space of the sculpture, in a place that is set apart and painted black. The film, shot at night, shows a succession of fifteen frontages that, although deserted, are lit. These are shops, hotel lobbies, and offices in the process of renovation. Each sequence lasts thirty seconds. The camera makes slight movements against the glass wall. The film is shot in slow motion in order to obtain a denser image : thousands of pixels moving give the space a blurred density.
The second video, filmed in daylight, faces it a few metres further on, at the corner of a covered passage, towards the Corridor vert that terminates the exhibition itinerary. The lens is placed against the closed glass of thirty abandoned or rented shops. The film was shot in fixed images, during the day, in real time, for a duration of three seconds each time.
In 1996 the Russian army left Berlin, taking everything that could be taken and leaving the rest in a state of abandon. Hundreds of premises that had ceased their activity were closed. The Americans, who left earlier, abandoned a whole residential quarter. A new biotope sprung up in the streets, which were very active, and in the wastelands around the demolished wall. The waste grounds not used by the city were places where I could empty my eyes as well as my head. I tried to understand and imagine their origin. They also interested me a great deal as spaces without a name, latent spaces. The films gave rise to long walks in the city, first by day, and then at night. The lighting located plots of land, fathomless and penetrating, or illicit and ignored during the day. I accumulated numerous sequences, with no particular order or aesthetic quality. Coming back to Paris, I felt the need to make a film. The pleasure I had researching and filming was at least as deep as the dreams that nourish my activity in the studio. I think that visiting these uninhabited places reminded me of the empty space that is always at the centre of my constructions. Its presence is essential : I can’t do without it, it no doubt represents a moment of rest in the interpretation of a work. More than any other explanation, deciphering my films has turned out to be a kind of metaphor of my work.
The sculpture is an obstacle that cannot be crossed, it delineates a formal territory that is circumscribed and informed by my observations in the street. This point of view is transposed in the videos : the camera placed against the shop-front windows reveals the volume of space that no one now occupies.
By day, a mirror fixed somewhere in the room reveals the closeness of the street, fleetingly used by a passer-by or a car : the space soon recovers its tranquillity.
At night, the reflections of the traffic, impressed on the surface of the windows like a screen, contrast with the immobility of the deserted halls.
Traduction anglaise : Charles Penwarden

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