Résine
175 × 500 cm
Bump Piece est l’aboutissement d’une interrogation sur la justesse de la présentation muséographique des sculptures du palier médian de la cour Marly. La frontalité des sculptures et leur théâtralité me questionnent.
Par le hasard des circonstances, alors que je me préparais à travailler à une exposition au centre d’art Le Grand Café à Saint-Nazaire, Marie-Laure Bernadac m’a proposé de participer au projet « Contrepoint III » dans les salles de sculpture française au Louvre. Les circonstances inattendues de l’apparition d’un perchman dans mon travail ne sont pas préméditées. La sculpture est le résultat de la confrontation alternée de ces deux projets : d’un côté les salles du centre d’art, de l’autre celles des sculptures classiques et leur présentation dans la cour Marly. J’ai eu l’idée d’une pièce figurant un perchman lors de ma première visite au Grand Café car j’ai été frappée par le caractère cinématographique du rez-de-chaussée : de grandes fenêtres, format écran, enchâssées dans un parement en bois sombre du sol au plafond m’ont immédiatement fait penser à Edward Hopper. Le formidable contre-jour produit par le parement en bois autour de l’encadrement lumineux des fenêtres a pour conséquence une sorte d’amplification fascinante de la vision panoramique des activités urbaines vues au-dehors. Tout semble plus coloré, plus précis et plus intéressant à cause du cadrage, bien que ne circulent que des voitures et quelques passants qui ne s’arrêtent guère. L’effet de loupe augmente encore lorsque l’on se rend compte du contraste sonore entre ce que l’on voit, l’image en mouvement d’un carrefour, et l’aspect vide, nu et silencieux de la salle au Grand Café. C’est ainsi que m’est venue l’idée de sa fabrication.
Au Louvre, les visiteurs ne s’attardent pas vraiment devant chaque sculpture. Elles sont présentées très frontalement, et on les embrasse d’un seul regard. Sculptures de jardin, elles étaient imaginées pour être vues de tous les côtés. La grande verrière suggère l’espace extérieur des parcs royaux, l’agencement de la cour en terrasses superposées donne de l’ampleur, de la profondeur et aménage des points de vue multiples sur cet ensemble de marbres. Ils sont tous présentés face aux spectateurs, ils s’adossent vraiment à l’architecture, il n’y a pas de recul pour voir le dos sculpté des nymphes, là où leur mouvement s’amorce. Je pense à la phrase bien connue, attribuée à Ad Reinhardt (« Sculpture is what you bump into when you back up to see a painting » [« la sculpture, c’est ce dans quoi l’on se cogne quand on se recule pour voir une peinture »]), et j’ajoute : la sculpture, c’est ce qui empêche de marcher droit. On attribue généralement tant de problèmes à la sculpture : c’est trop réel, trop encombrant, trop lourd, trop… Placer les sculptures de dos permet d’aller voir, d’effectuer un déplacement physique sans faire d’effort mental ; on prend plus de temps, et c’est nécessaire pour saisir l’acte artistique complet. Le visiteur devient actif, l’envers des sculptures, dans leur mouvement, l’invite à tourner autour.
Seconde constatation : la sculpture classique est gestuelle. Il s’agit d’exprimer une idée, une action ou de représenter une allégorie, par une suite de gestes ou d’attributs ; de plus, la direction du regard des statues est éloquente : elles se regardent, se parlent entre elles et non avec le visiteur (il doit engager un dialogue qui n’est pas donné d’avance).
L’idée de faire une sculpture figurant un preneur de son s’est conjuguée à quelque chose de simple, la qualité de la lumière dans cette immense cour vitrée très haute, qui empêche presque toute intériorité et qui génère du bruit. Un perchman en fonction, c’est d’abord une série de postures extrêmement précises qui associent la force, la souplesse et la précision ; le silence aussi est nécessaire pour accomplir ce travail. Situé au milieu de l’ensemble des marbres Amphitrite, Neptune, La Seine et La Marne d’Antoine Coysevox, le perchman en résine peint est présenté dos au public. Un cordon de sécurité placé devant les cinq sculptures définit l’espace « au travail ». Comment traiter la tête, les mains, les vêtements, la perche, sculpture d’aujourd’hui devant les marbres classiques : dans ce face-à-face, l’humour est nécessaire. Bien qu’elle tienne parfaitement en équilibre sur ses deux jambes, la sculpture est légère et ne peut pas être posée dans ce lieu public sans protection, et surtout sans être arrimée au sol ; or, on ne peut percer les dalles du Louvre, une planche épaisse m’a servi de contrepoids, de socle. Elle a été exécutée en recourant à plusieurs méthodes : le moulage (du corps), le modelage (de la tête et des mains) et le collage (les vêtements). Le perchman en résine peint s’apparente plus au public qu’aux sculptures en marbre en raison de l’emploi de la couleur, du matériau et du geste figuré. Je ne recherche pas l’hyperréalisme en sculpture, mais le réalisme de son positionnement dans un lieu public.
Dans la fresque de Giandomenico Tiepolo Le Nouveau Monde, un groupe de personnages assiste à un spectacle mystérieux : l’un d’eux, juché sur un tabouret, semble tenir une perche, l’assistance tourne le dos au spectateur.
Bump Piece came out of my questioning of the appropria-teness of the museographic presentation of the sculptures on the middle level in the Cour Marly courtyard. The frontality of the sculptures and their theatricality intrigue me.
As chance would have it, I was preparing to work on an exhibition at the Grand Café in Saint-Nazaire when Marie-Laure Bernadac asked me to accept the invitation to take part on the ‘Contrepoint III’ project in the French sculpture rooms at the Louvre. The unexpected circumstances of the appearance of a boom man in my work were not premeditated. The sculpture is the result of the alternate comparison of these two projects : on one side, the rooms at the art centre, on the other, the rooms with the classical sculptures and their display in the Cour Marly. I had the idea of a piece representing a boom operator on the occasion of my first visit to the Grand Café, where I was struck by the cinematic qualities of the ground floor : the big windows the same format as screens in a dark wood surround reaching from floor to ceiling at once brought to mind Edward Hopper. The tremendous contrejour produced by the wooden surrounds of the windows with their luminous framing results in a kind of fascinating amplification of the panoramic vision of the urban activities seen outside. Everything seems more colourful, more precise and more interesting because of the framing, even though only cars and a few passers-by, who hardly stop, are the only moving presence. The magnifying glass effect is even more marked when one becomes aware of the contrast in sound between what one sees, the moving image of a crossroads, and the empty, naked and silent appearance of the room in the Grand Café. That is how I came to have the idea of making this piece.
At the Louvre, visitors don’t really stop in front of each sculpture. These are represented very frontally and can be taken in with a single gaze. As garden sculptures, they were conceived to be seen from all sides. The big glass ceiling suggests the outside space of royal parks, while the levels of terraces in the courtyard bestow magnitude and depth and set up multiple viewpoints on this set of marble sculptures. They are all presented facing viewers and really are backed up against the architecture : there is no distance enabling us to see the sculpted back of the nymphs, where their movement begins. I think of those well-known words attributed Ad Reinhardt (‘Sculpture is what you bump into when you back up to see a painting’), and I add, sculpture is what prevents you from walking straight. We tend to burden sculpture with all kinds of problems : it’s too real, too cumbrous, too heavy, too . . . Placing the sculptures with their back to us allows us to go and see, to make a physical movement without any mental effort ; we take more time, and that is necessary in order to grasp the complete artistic act. The visitor becomes active, the back of the sculptures and their movement invites us to move around them. Second observation : classical sculpture is gestural. The point is to express an action or to represent an allegory, by a series of gestures or attributes ; moreover, the direction of the statues’ gaze is eloquent : they look at each other, talk to each other, and not with the visitor (who must enter into a dialogue that is not given in advance).
The idea of making a sculpture representing a sound recordist combined with something very simple : the quality of the light in this huge glass-roofed courtyard, which prevents almost all interiority and generates noise. A boom operator at work means, first of all, a series of very precise postures that combine strength, suppleness and precision. Silence, too, is necessary in order to do this work. Positioned in the middle of a set of marble statues by Antoine Coysevox – Amphitrite, Neptune, the Seine and the Marne – the boom operator in resin is presented with his back to the public. A safety cordon placed in front of the five sculptures defines the space ‘at work’. How to handle the head, the hands, the clothes, the boom – a sculpture of today in front of the classical marbles ? In such a face-to-face, humour is a necessity. Although it is perfectly balanced on its two legs, the sculpture is light and cannot be put in a public place without protection, and above all without being fixed to the ground. Since it is not possible to pierce the slabs of the Louvre, a thick board serves me as a counterweight, as a base.
It was executed by using several methods : moulding (the body), modelling (the head and hands) and collage (the clothes). The resin boom operator is closer to the public than the marble sculptures because of the use of colour, the nature of the material, and because of the gesture represented. I don’t aim for hyperrealism in sculpture, but the realism of its positioning in public space. In The New World, the fresco by Giovanni Domenico Tiepolo, a group of figures is watching a mysterious spectacle. One of them, standing on a stool, seems, to be holding a boom. The audience is turning its back on the beholder.
Traduction anglaise : Charles Penwarden