(série SEPT PIÈCES FACILES)
Caoutchouc
Dimensions variables
« J’aimerais qu’il existe des routes qui s’arrêtent nulle part, en plein milieu d’un champ au milieu de nulle part… »
(Fernando Pessoa)
La route évoque l’aventure et la liberté, elle me renvoie aux journées sans rendez-vous, aux détours, la traversée de paysages, l’observation, le vague et le précis à la fois, l’imaginaire, le plaisir, la musique, des sons, des odeurs et tant d’autres sensations. Comment réduire une route à quelques mètres comprimés et isolés sur le sol d’une salle dont les limites sont partout repérables.
Si la littérature, le cinéma et la photo l’ont si souvent évoquée, c’est pour moi « presque » un objet comme un autre. La route peut s’arrêter au milieu de nulle part, car elle n’a jamais de départ ni d’arrivée définis, on la prend quelque part et on la quitte ailleurs. C’est ainsi que j’ai extrait une portion de route de 50 m de long, amorcée par des lignes intermittentes qu’interrompent trois flèches se rabattant sur une ligne continue. Je l’imaginais molle, odorante, souple et lourde en même temps, et pesante et nonchalante. Étroite bande repliée sur elle-même, à l’endroit puis à l’envers. Son revers a autant d’importance, il symbolise la continuité et l’ailleurs que l’on ne voit pas. La route a un code, une signalétique, un tracé, une perspective. Pour l’installation de la sculpture Eyeliner, l’effort ne sert à rien, il faut être simple et se laisser entraîner par les qualités matérielles du caoutchouc ; elle s’enroule et se plisse jusqu’à un certain point.
Elle est difficilement contrôlable sur la longueur en raison du poids. Je voulais faire ressentir la continuité de la route, dans le temps et dans l’espace, mais également sa matérialité.
‘I wish there were roads ending nowhere, in the middle of a field in the middle of nowhere . . .’ (Fernando Pessoa)
Roads evoke adventure and freedom, they remind me of days with no appointments, detours, travelling through landscapes, observing, things both vague and precise, imagination, pleasure, music, sounds, smells . . . and so many other sensations. How do you reduce a road to a few metres, compressed and isolated on the floor of a room, the limits of which are in evidence throughout ? While literature, cinema and photography have dealt with this theme so often, for me it is ‘almost’ just another object. A road can stop in the middle of nowhere, it never has a well-defined starting point or arrival, you just take a road at one point and leave it at another. That’s why I took a fifty-metre-long portion of road, starting with intermittent lines interspersed with three arrows and an unbroken line along the edge. I imagined it soft, scented, both supple and heavy, weighty and nonchalant. A narrow strip folded over on itself, top up and then bottom up. Its underside is just as important ; it symbolises continuity and the elsewhere one cannot see. The road has its code, signage, a layout, a perspective. When installing the sculpture Eyeliner, there’s no point in making an effort ; you have to be simple and let yourself be guided by the material qualities of the rubber, which has a tendency to roll and fold. It is difficult to control it because of the combination of weight and length. I wanted to convey the road’s continuity, in time and space, and also its materiality.
(Traduction anglaise : Charles Penwarden)