Aluminium laqué
H. variable × 346 × 1460 cm
Pour réaliser une sculpture dans cet endroit lourdement chargé qu’est l’atelier d’Antoine Bourdelle devenu avec le temps un musée, je recherchais un espace capable de faire circuler l’imaginaire. Dans le jardin encombré de diverses sortes de sculptures, je pensais pouvoir jouer le pittoresque, la légèreté ou le minuscule, tous ces qualificatifs représentant plutôt un défi. Mais l’étroitesse et la complexité des parcelles sont très contraignantes. Plus j’y pensais, plus se dégageait une sensation précise de désir de fuite hors du musée ; j’avais besoin d’un espace concret précisément délimité. C’est pourquoi j’ai opté pour la terrasse extérieure dominant le jardin sur rue. De là on a une vision étendue sur les toits, tremplin vers le ciel. Bien qu’entourée de limites avec une vue bloquée frontalement par la façade d’un immeuble, la terrasse surplombe le musée ; c’est aussi le seul emplacement dégagé même s’il se traduit en réalité par une impasse. Cette configuration étroite mais sans obstacle m’a encouragé à imaginer une sculpture qui entraîne une sorte de « décollage » du spectateur. Sur le mur en brique longeant le belvédère est installé un grand bas-relief en trois panneaux intitulé Les Muses accourent vers Apollon. On trouve dans le titre de l’œuvre la notion de mouvement et une évocation de la danse le long de la terrasse. Simultanément à ma quête d’espace dans le musée, une exposition sur le thème d’Isadora Duncan présentait des documents sous la forme de photographies, de films muets de la danseuse, ses vêtements de scène, des objets divers, des dessins ainsi que quelques étranges sculptures dansantes ; la grâce et la légèreté étaient montrées au sein même de la collection des sculptures en bronze et en marbre de Bourdelle. Le dessin s’est imposé comme outil pour concevoir une sculpture suggérant une trajectoire de fuite que la proximité du bas-relief a accentuée. Je cherche à exprimer dans la sculpture un lieu à partir duquel un récit imaginaire et fragmenté s’invente, la sculpture comme moyen d’évasion et la terrasse comme piste d’envol. Depuis les pièces Eyeliner (2007) et Road Movie (2008), la route revient de façon récurrente dans mes travaux. La sculpture et la route sont les moyens que j’ai choisis pour manifester mon désir de liberté, elles m’évoquent tous les possibles. Sur place, j’ai rêvé à un au-delà du lieu, un récit s’est construit peu à peu, et les images se succédaient en un chemin à parcourir. J’ai pensé aux pas de danse, puis aux pas tout court, puis aux traces imaginaires que laissent les feux arrière d’automobiles roulant côte à côte sur une voie rapide la nuit. Je voulais que se perçoivent ces effets d’excitation et de dégagement que provoque la vitesse. Le rouge et le jaune des feux clignotant pour avertir d’un dépassement. Seize lignes rouges de 12 m de long et quinze autres de couleur jaune de 6 et 12 m se suivent ou se poursuivent. Les barres parallèles jaunes sont placées en dessous ou à côté des barres rouges, puis toutes sont cintrées, provoquant un virage élargi à gauche de l’axe central bien marqué par un alignement strictement régulier. Cette disposition des lignes est brouillée par le déplacement du spectateur selon qu’il se trouve à un point ou à un autre de la sculpture ou sur le côté ; en effet, les barres sont étroites et épaisses (25 cm d’épaisseur pour 5 cm de hauteur) : aussi, dès qu’il se décale de l’axe central de la sculpture, il la voit s’épaissir, les couleurs rouges et jaunes plus ou moins visibles. Aux lignes tracées par lesquelles je recherchais à travers la régularité et la simplicité, le sentiment d’harmonie, se sont ajoutées les notions de vitesse (doublement de certaines lignes), puis de couleur : un rouge éclatant et un jaune vif. Je voulais que l’on ait le sentiment de prendre de la vitesse, pour un décollage en règle.
To conceive a sculpture in this densely packed place, I was looking for a space that would allow the imagination to circulate within the area of Antoine Bourdelle’s studio, which, over time, has turned into a museum. In the garden, cluttered with all sorts of sculptures, I thought I could play on the picturesque, lightness, tininess – all terms that represent quite a challenge. But the narrowness and complexity of the areas are very constraining. The more I thought about it, the stronger my feeling that I wanted to get away from the museum ; I needed a concrete space that was clearly delimited. That is why I decided upon the outdoor terrace over the garden and street. From there you have an extensive view of the roofs, like a springboard to the sky. Although limited, with a building blocking the view, the terrace overlooks the museum and is also the only clear space, even if in reality it is a dead end. This narrow but obstacle-less configuration encouraged me to imagine a sculpture that would allow viewers to ‘take off’. On the brick wall running along the belvedere there is a big bas-relief comprising three panels, entitled ‘The Muses Running to Apollo’. The work’s title contains the notion of movement and there is an evocation of dancing along the terrace. At the same time as I was looking for space in the museum, an exhibition about Isadora Duncan was showing documents in the form of photos, silent films of the dancer, her stage costumes, various objects, drawings and also some strange dancing sculptures ; grace and lightness were shown in the museum within the very collection of bronze and marble sculptures by Bourdelle. Drawing emerged as a tool for conceiving a sculpture suggesting flight or a line of escape, an effect heightened by the closeness of the bas-relief. In sculptures I try to express a place that is the springboard for an imaginary and fragmented story, with the sculpture as a means of escape, and the terrace as a runway. Since my recent works Eyeliner (2007) and Road Movie (2008), roads have been a recurring feature of my works. Sculptures, like roads, are the means I choose to express my desire for freedom : to me, they are replete with possibility. On the site, I dreamed of somewhere beyond the place ; little by little a story was built and one image followed another, making a path to run on. I thought of dance steps, then steps only, and finally I thought of the imaginary tracks left by the tail lights of cars driving side by side on a motorway at night. I wanted to make perceptible these effects of excitement and breaking free caused by speed. The red and yellow of lights indicate overtaking. Sixteen 12-metre-long red lines and fifteen yellow ones 6 or 12 metres long follow or chase one another. The yellow parallel bars are put underneath, or next to the red bars, and then they are all arched, forming a bend that widens to the left of the central axis, this being clearly marked by a strictly regular alignment. This arrangement of the lines is made uncertain by the visitor’s movements, depending on where they are standing in relation to the sculpture, or on the side ; the bars are narrow and thick (25 millimetres thick by 50 millimetres high), and so as the visitor moves away from the central axis of the sculpture, they can see it getting thicker, and the red and yellow colours are more or less visible. The drawn lines, whose regularity and simplicity I wanted to convey a feeling of harmony, now acquire the notion of speed (doubling of certain lines) and colour (bright red and yellow). I wanted to create the sensation of gaining speed, just as you do before taking off.
Traduction anglaise : Charles Penwarden