Diamètre 28,80/H0,25m
Acier, peinture réfléchissante
CUB Bordeaux, carrefour UNITEC, Pessac
Elisabeth Ballet propose une sculpture de lettres métalliques en acier recouvertes d’une peinture réfléchissante, dispositif visuel et plastique pour un palindrome : sole medere pede ede perede melos (solitaire, soigne-toi par la poésie, compose, recompose tes chants). Le rond-point est un endroit stratégique depuis lequel on voit un vaste panorama comprenant l’université à dominante littéraire, la bibliothèque universitaire de droit et de lettres et des tours où vivent plus de quarante ethnies. Le programme artistique conçu autour de l’écriture et du récit associé au projet, a dégagé l’image d’une couronne de mots se superposant à l’esplanade. J’ai pensé au palindrome : son mécanisme, doué d’une intelligence extérieure, obéit à sa propre logique comme une sculpture. Il pense tout seul. J’ai dupliqué le palindrome après avoir neutralisé les espacements entre les mots. Le texte s’interrompt au passage des voies du tramway qui coupent littéralement le texte. Les sculptures d’Elisabeth Ballet ont comme origine une idée, une abstraction, un principe mathématique né de la spécificité et des contraintes du contexte. À partir de ce postulat, tout le travail de conception et de mise au point de ses œuvres consiste à organiser et à diriger ses observations comme matière même de son travail. Le processus prend en compte le mouvement, le temps et le déplacement, qui vont des mots vers les images et le volume. Jusqu’à ce que la sculpture s’impose, autonome.
Elisabeth Ballet offers a sculpture of metal-coated steel letters with reflective paint, plastic and visual device for a palindrome : sole medere pede ede perede melos (solo, take care of yourself through poetry, compose, recompose your songs). The roundabout is a strategic location from which one sees a vast panorama that includes the dominant literary university,
the university library of law and letters and towers where more than forty ethnic groups. The artistic program designed around the writing and narrative associated with the project, posted a picture of a crown of words superimposed on the esplanade. I thought the palindrome : its
mechanism, endowed with a foreign intelligence, obeys its own logic as a sculpture. He thinks himself. I duplicated the palindrome after controlling the spacing between words. The text interrupts the passage of the tramway that literally cut the text. Sculptures by Elisabeth Ballet have as original an idea, an abstraction, a mathematical principle born of the specific context
and constraints. From this premise, all the work of design and development of his work involve organizing and directing his comments as a subject of his work. The process takes into account movement, time and displacement, ranging from words to images and volume. Until the sculpture is needed, autonomous.
Le rond-point est un endroit stratégique autour duquel on voit un vaste panorama comprenant le centre technologique, l’université à dominante littéraire, la bibliothèque de droit et lettres, l’ensemble que constitue Saige Formanoir formé des hautes tours où vivent plus de quarante ethnies, la vigne d’un grand cru classé et le parc de Fontaudin. Autour de son axe immédiat, l’horizon est dégagé, le point de vue à trois cent soixante degrés offre une large perspective horizontale ; les bâtiments se découpent de place en place sous la voûte du ciel, l’espace respire, rien n’obstrue le paysage. Les deux voies du tramway constituées de rails à gorge créent un passage à travers le carrefour, elles le coupent en son centre en formant un virage selon un angle proche des quarante-cinq degrés, ce qui l’oblige à ralentir. La vaste tranchée pratiquée dans le rond-point anéanti la plénitude et l’énergie de sa rotation en le séparant en deux îlots à la dérive ; la circularité altérée, le giratoire est affaibli. J’ai cherché à rétablir autant que possible son orbite.
Le trajet en tramway distille un temps très particulier, qui amortit tout mouvement : propice à la lecture, on a des pensées fugitives, on regarde rêveusement le paysage qui défile. Son franchissement est le moteur, inspirateur de mon projet, il lui donne tout son sens.
Le programme artistique conçu autour de l’écriture et du récit associé au projet a dégagé l’image d’une couronne de mots se superposant à l’esplanade. Un texte peut être interrompu, s’il reprend plus loin ou s’il se répète, à l’infini. J’ai pensé au palindrome qui, à la différence de l’Alexandrin, donne l’idée d’une quatrième dimension, son mécanisme doué d’une intelligence extérieure obéi à sa propre logique comme une sculpture. Il pense tout seul.
Le palindrome est un mot, ou un groupe de mots qui peut être lu indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche en conservant le même sens. Le tramway effectue des allers-retours quotidiens d’un point à un autre. Pour un usager, c’est la possibilité d’un second parcours, à l’envers du premier, en miroir avec la définition du palindrome.
Mes recherches m’étaient inspirées par un palindrome idéal, né de la nuit des temps : en 1982 paru au cinéma un film de Guy Debord dont le titre était IN GIRUM IMUS NOCTE ET CONSUMIMUR IGNI (Nous tournons en rond dans la nuit, et nous sommes dévorés par le feu). Ce palindrome inoubliable traduit l’éternel recommencement de la vie aussi bien que de la phrase, il allie avec autant d’intensité que de mystère une signification à une forme tournant perpétuellement sur elle-même.
La langue française est peu favorable à leur réussite : les articles, les conjugaisons sont autant d’obstacles au renversement de la phrase. J’ai sélectionné et examiné deux palindromes : l’un en français, l’autre d’origine latine. C’était un choix difficile parce qu’il fallait prendre une décision liée à la langue : quel langage utiliser quand on a des milieux sociaux culturels et des populations d’origine étrangère extrêmement mélangés. HO CELA TE PERD RÉPÉTA L’ÉCHO est un palindrome réjouissant, je pouvais facilement visualiser son écho, les mots disposés en cercles concentriques, se répercutant poétiquement dans l’imaginaire des usagers du tramway en ondes transmises par ricochet sur le paysage. L’autre palindrome a fait l’objet de toute mon attention parce qu’il implique la question du langage et de son interprétation. SOLE MEDERE PEDE EDE PEREDE MELOS était récemment attribuée à Ausone, fameux grammairien et rhétoricien de l’antiquité, né à Bordeaux. Après enquête, il s’avère qu’il n’en est pas l’auteur. Comme tout bon palindrome, sa signification n’est pas très claire. Les grands érudits qui l’ont étudié sont restés perplexes pour le déchiffrer. Traduit mot pour mot : soigne par le soleil, tape du pied, compose des poèmes. Son interprétation sonne bien à l’oreille : soigne en solitaire les pieds de tes vers, compose et recompose des chants.
Peut-être un conseil du type : prends un bon bain de soleil, trouve l’inspiration en te promenant, et compose un poème.
Ce palindrome n’inclut dans son architecture qu’un très petit nombre de voyelles E-O et de consonnes D-L-M-P-R-S, ce qui lui donne un air sobre presque austère. À première vue la phrase n’est pas très engageante quand on n’en comprend pas le contenu. J’étais très séduite par l’allure impénétrable du texte qui contraste avec sa signification plutôt épicurienne. J’ai travaillé la configuration typographique du texte pour accentuer son énigme et pour qu’il devienne autonome, comme une sculpture. J’ai dupliqué le palindrome après avoir neutralisé les espacements entre les mots.
SOLEMEDEREPEDEEDEPEREDEMELOSOLEMEDEREPEDEEDEPEREDEMELOS
Le palindrome original s’est transformé en une sorte de langage codé encore plus hermétique qu’au commencement, et qui se lit toujours dans les deux sens. À ce moment de mon étude, je me suis placée au-dessus du plan du rond-point et j’ai couché les lettres constituées par le « double palindrome » en cercle au-dessus du sol pour qu’elles paraissent visuellement plus légères (Vingt-cinq centimètres de hauteur). Je les ai agrandis de sorte que les caractères prennent le plus de place possible dans le diamètre du rond-point. La première rangée de lettres mesure vingt-neuf mètres quatre-vingt de diamètre extérieur ; la longueur d’un caractère est d’un mètre quatre-vingts. Je ne voulais pas que le texte soit lu verticalement, superposé au paysage. L’œuvre est vue dans son contexte, simultanément : pas d’emprise de l’un sur l’autre.
Le lettrage est en style dactylographique majuscule, cela renforce encore le caractère insaisissable du palindrome. Puis j’ai étendu la place de l’œuvre en ajustant deux autres rangées de lettres en cercles concentriques de plus en plus petits à l’intérieur du périmètre du rond-point, juste en dessous du premier collier de texte. Les lettres du second rang mesurent un mètre soixante de long ; celles de la plus petite rangée un mètre trente de long. Ainsi le palindrome se propage à l’intérieur de la circonférence du rond-point, en renforçant la continuité de son circuit, il restaure son orbite. Le texte s’interrompt au passage des voies du tramway qui coupent littéralement le texte : les caractères sont grignotés à l’aplomb des lisses de la voirie puis reprennent de chaque côté des voies. On perd momentanément le sens de la phrase tout en interceptant des mots isolés. Un seul mot saisi permet de reconstituer la phrase dans un sens ou dans l’autre.
L’ensemble du lettrage comprend cent trente-deux lettres en acier de dix millimètres d’épaisseur, ébavurées, sablées, métallisées et peintes en surface avec une peinture réfléchissante blanche contenant des billes de verre. Je désirais une visibilité éclatante de jour et luminescente la nuit sans ajouter d’éclairage urbain. La peinture, excessivement lumineuse, capte tous les éclairages momentanés comme les phares de véhicules roulant autour du rond-point. Enfin, la superficie du rond-point est recouverte de gravillons, il est entouré d’une double bordure de protection.